Non, la grâce des danseuses, c'est comme la créativité des artistes.
Ce n'est pas une exclusivité, ça se travaille pour tout le monde ! 😉
Au programme de la vidéo
1"10 : Petite histoire de la grâce en danse
1"30 : Clef n°1 : une conscience fine du corps
3"15 : Clef n°2 : l'espace autour de nous
5"02 : Le vrai intérêt de la grâce : un travail corporel hyper intéressant
7"55 : À vous de jouer !
La grâce fait partie des résistance qu'on se met dans la danse : moi mon mouvement il est moche parce que j'ai aucune grâce. Mais la grâce, ce n'est pas un miracle. Places à quelques clefs pour mieux comprendre ce qui se cache derrière.
Les danseur•se•s n'ont pas toujours été gracieuses
La première fonction de la danse
À l'origine, la danse c'était avant tout une fonction sociale et symbolique.... Même la danse classique. Inventée sous Louis XIV, il s'agissait d'abord d'apprendre des pas pour faire partie de la cour du roi et donc avoir accès à un statut social. À cette époque, on ne parlait donc pas de grâce, c'est un art à maitriser comme la chasse.
La grâce arrive avec les Romantiques
Avec les Lumières, la danse veut se professionnaliser et acquérir ses lettres de noblesse. C'est à partir de ce moment-là qu'apparaît le terme de grâce, tout comme on cherchait, dans les arts visuels, à avoir un art qui soit "beau", harmonieux.
Les artistes danseurs professionnels cherchent donc à se distinguer des amateurs, et c'est comme ça que peu à peu on parle de grâce et que la danse cherche à se revendiquer comme un art et non comme un simple divertissement. C'est à ce moment-là qu'apparaît aussi l'expressivité dans la danse, la notion d'interprétation. La grâce fait donc partie des sensibilités que le danseur doit acquérir.
Et petit à petit en fait, la "grâce" est devenue finalement un trait de définition de la danseuse, qui est gracieuse, "vaporeuse", légère voire pudique
Une nouvelle définition de la grâce aujourd'hui
Puis la grâce a un peu évolué : on peu être gracieuse sans être tout le temps dans la légereté, et les hommes ont aussi accès à cette caractéristique. Et d'autres caractéristiques viennent compléter cette notion de grâce un peu pauvre et mince de l'époque. Peu à peu, on parle de présence, et de cette caractéristique qui fait que des danseurs peuvent être bluffants sans qu'on savent trop mettre de mots dessus, sans parler de technique, mais de cet état de corps qui sculpte l'espace. C'est cette grâce-là moi qui m'intéresse dans les cours : cette qualité de présence dans le corps et dans l'espace qui rend la danse mille fois plus intéressante à pratiquer et quasi magnétique à regarder, même parfois sur des mouvements tout simples comme lever un bras.
Il allongeait une main et tout devenait transformé
Béatrice Massin à propos de Noureev
Ce qui se cache derrière des mouvements gracieux
Clef n°1 : une conscience corporelle fine
Une des clefs pour avoir des mouvements gracieux c'est effectivement cette conscience corporelle du corps mais surtout du corps en mouvement. Ça, c'est vraiment quelque chose qui se travaille. En pratiquant régulièrement et en axant sa pratique sur les sensations que l'on traverse, on affine peu à peu notre connaissance du corps et donc notre capacité à être très fin dans le mouvement, dans quelque qualité qu'on veut : un mouvement ultra léger ou au contraire lourd, être capable de dissocier quelle partie du corps on met en mouvement ou pas et ce de manière très fine. C'est dans ce sens-là que je cherche à travailler dans les cours de danse et à faire avancer les élèves.
Pour aller plus loin, l' articles de blog lié
"La leçon la plus importante que j'ai apprise en danse"
Clef n°2 : le danseur joue avec l'air et l'espace
Voilà la clef qui fait aussi toute la différence entre la danse et le sport, ou d'autres pratiques corporelles comme le yoga. Toutes ces pratiques développent une conscience fine du corps mais ne travaillent pas toujours avec l'espace ou le mouvement. Le sport va travailler sur le muscle, le yoga sur la respiration et l'étirement.
En danse, on va donc travailler à sculpter le corps mais aussi l'espace et c'est là où entre la notion d'imaginaire qui fait que quand on regarde un danseur danser, on sent qu'il se passe autre chose qu'on ne peut pas forcément nommer. Et c'est aussi ça qui fait que quand on danse, on fait du sport sans en avoir l'impression, car on va plutôt être dans ce travail de sculptage de l'espace, et d'imaginaire.
On ne fait pas que lever le bras, on peut "soulever un nuage" ou "imaginer que quelqu'un nous empêche de lever le bras". Du coup, on est dans un travail plus fin qui n'est pas que corporel mais lié aussi à la qualité du mouvement, à ce que raconte le mouvement.
Ça peut paraître très compliqué comme ça mais c'est très simple car on peut s'appuyer sur des images très concrètes pour trouver ces sensations, cette manière de sculpter l'air et de remplir l'espace autour de nous. Faire vivre l'air qu'il y a dans l'air et autour de nous et donc créer des volumes entre ses bras, les aplatir, créer des lignes, des directions...
Ça peut devenir un peu un jeu en fait ! (moi c'est ça que j'adore et que j'adore transmettre!)
Derrière la grâce : la présence et l'interprétation
Enfin, pour que tout ça soit juste, la clef finale, c'est la présence. Et c'est là un peu justement toute la contradiction. Tout ce que je viens de vous raconter est finalement assez "réfléchi", intellectuel. Mais pour que ça marche, en tant que danseur ou spectateur, il faut lâcher le mental et se concentrer sur les sensations et le corporel.
Car pour être dans cette dissociation corporelle et pour sculpter l'espace et raconter des histoires avec la danse, il faut lâcher du coup et vivre tout ça ! Et c'est là que parfois on voit des danseurs ou des élèves qui font tout bien, intellectualisent ces chemins mais veulent appliquer ces notions avec leur tête et ne lâchent pas prise. J'ai fait partie de ces élèves pendant longtemps et je ne comprenais pas du tout. Pour moi, c'est cette notion d'espace et d'images concrètes qui m'ont débloqués et qui m'ont permis d'accéder à ce travail de conscience, de présence et donc d'interprétation, tout en restant un travail ludique et pas prise de tête.
Et c'est dans cet état d'esprit là que je fais travailler mes élèves dans les cours : la présence dans chaque mouvement, aussi simple soit-il, dans ses implications corporelles, spatiales, sa qualité de mouvement. Et pour accéder à ça, je passe par des images très concrètes (même si parfois un peu farfelues) : marcher sur des œufs, soulever un nuage, comprimer de l'air...
Le vrai intérêt de la grâce
En fait au fond quand on est élève, peu importe que son mouvement soit beau ou pas (en tous cas, moi en tant que prof, ça m'importe peu), mais on cherche à se faire du bien au corps et au moral et à accéder à cette sensation de bouger pour quelque chose d'un peu plus grand que nous avec la musique, l'unisson, etc.
Et travailler les mouvements dans cette notion de grâce au sens de présence est en fait hyper efficace pour ça : plus conscients de nos mouvements, on va souvent plus loin. Avec l'aide de l'imaginaire, on crée des mouvements et des coordinations nouvelles. C'est ainsi qu'on se fait un bien fou au corps et au moral, ça permet de varier les tonus musculaire, les énergies et d'affiner la conscience corporelle et donc d'avoir un corps beaucoup plus disponible et libre.
Essayez avec un simple mouvement de bras : imaginez que vous soulevez un nuage immense mais tout léger, puis qu'ensuite vous soulevez un énorme truc lourd, rigide et grand. Mais faites le vraiment, pas juste imaginez, vivez-le corporellement, vous allez voir, vos appuis seront différents, votre bras, vos muscles, tout ! Chaque geste devient donc habité entièrement par tout le corps différemment selon ce qu'on met dedans ! Passionnant, non ?
Alors, vous avez testé ? On se sent un peu idiote seule dans son salon
mais en cours quand tout le monde le fait et en rigole, vous verrez, c'est trop chouette!
Envie de tester ?